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ORFEU NEGRO de Marcel Camus

Sélection Cannes Classics 2021


painting brushes

Orphée chante, et toutes les créatures de la Terre l'écoutent en silence. Elles l'aiment. Lui aime les femmes, puis il n'aime qu'une femme, Eurydice. Mais la bien-aimée meurt. Orphée ne chante plus, ne mange plus. Aidé par Hermès, guidé par Charon, il va ouvrir la porte des Enfers et forcer son passage pour ramener sa belle Eurydice auprès de lui. Il charme les divinités chthoniennes et infernales avec sa musique ; et celles-ci, émues, l'autorisent à ramener l'âme d'Eurydice à la surface. Une seule condition : elle marchera derrière lui et il ne devra à aucun moment se retourner pour la regarder, tant qu'ils ne seront pas arrivés au bout du chemin. Mais voilà, Orphée aime trop Eurydice, puis celle-ci trébuche, il veut l'aider, il se tourne, elle disparaît à jamais dans les profondeurs et l'obscurité. Plus tard, Orphée est déchiqueté par des Bacchantes furieuses qu'il refuse constamment leurs avances. Voici l'histoire d'Orphée, un des mythes grecs les plus connu, les plus repris.

Marcel Camus en conserve tout le déroulement et transpose l'action au Brésil. Ce n'est plus Orphée, c'est Orfeu ; ce n'est plus Eurydice, c'est Eurídice.

« Il y a un côté ludique extrêmement satisfaisant à voir la réécriture du mythe, qui est fidèle, à deviner le cheminement d'Orphée, le nom des personnages, à reconnaître Charon, Hadès, et les Enfers (le Bureau des Disparus) ».

Cependant, cela est presque anecdotique comparé à l'aspect le plus important du film : l'ambiance brésilienne. Cette dernière passe par les couleurs chatoyantes de la photographie de Jean Bourgoin, aussi éclatantes que le son clair de la musique continue, dansante. La caméra virevolte entre les étoffes des costumes des danseurs et danseuses, s'arrête sur les pas de chacun, suit le flot de couleurs dans le public et s'envole au dessus des chars du Carnaval. Le film est une pépite de maîtrise du montage et du rythme. L'euphorie du Brésil, la bossa nova endiablée, donne un grand coup de fouet au mythe qui en sort plus que jamais vivant, plus que jamais rajeunit, contemporain.


Souvent succède à la fièvre de la danse le calme du lever de soleil. Orphée joue de sa guitare (pas de lyre, ici), et l'astre se lève. Ce sont encore les couleurs qui confèrent à ces moments intimes toute leur grâce. Orfeu chante pour Eurídice, la lumière devient chaude, chargée d'amour, l'air s'emplit d'une poésie douce, légère et innocente. Lorsqu'Orphée meurt, un petit garçon reprend sa guitare et joue, de peur que le soleil ne se lève pas si personne ne lui fait quelques accords. Le soleil se lève alors, et le visage du garçon s'éclaire d'un sourire et des premiers rayons du matin.


Il y a quelque chose de magnifique dans les tragédies grecques, celles que tout le monde connaît. On sait déjà qu'Œdipe a couché avec sa mère et tué son père, tout le monde le sait et Freud ne s'en plaindra pas. Antigone meurt. Jocaste se suicide. Héraclès brûle. Achille trouvera sa gloire dans sa mort. Phèdre se suicide et Hippolyte est tué par un vœu de son père. Ce qui fait une bonne représentation de ces tragédies, c'est quand envers et contre tout, le metteur en scène réussit à nous faire croire, à nous spectateur, que peut-être, oui peut-être cette fois, juste pour une fois, pourquoi pas, Orfeu et Eurídice auront droit au bonheur.

« Alors que nous savons que sous le ciel chaud du Brésil, au son des tambourins, des accords de guitare, et des pas de danse sur le sable, Eurídice doit mourir et Orphée doit la perdre ».

Lorsque cela est réussi, la tragédie devient une tragédie autant pour les personnages que pour le spectateur. De ce point de vue, la mise en scène de Marcel Camus est un succès éblouissant.


La mort d'Eurídice est une scène qui fait basculer le film dans une partie logiquement plus sombre, et elle est servie par un travail acharné sur le son et les ombres. Ainsi, malgré les sons joyeux de la bossa nova du Carnaval, au loin, la mélancolie d'Orphée est retranscrite à l'écran, seul dans des rues sombres et des bâtiments immenses et vides. On passe à partir de cette scène, d'un Brésil dansant à une descente aux Enfers onirique et tout en métaphore.

Lorsque le générique de fin apparaît, après que l'enfant, hériter d'Orfeu, a fait lever le soleil par ses quelques accords, beaucoup de spectateurs sont restés assis, face à ses noms qui défilaient. En silence, les yeux rivés sur l'écran, ils écarquillaient les yeux comme ces petits enfants devant des monuments trop grands pour être appréciés pleinement au premier regard.


Critique de Paul Moings



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