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EL CAMINO de Ana Mariscal

Sélection Cannes Classics 2021



Seules demeureront les tâches de rousseur.


Pour clôturer la sélection Cannes Classics, le festival nous a proposé El Camino (Le chemin en français) réalisé par Ana Mariscal.

Celle-ci a réussi le coup de force de produire et réaliser elle-même son film, dans l'Espagne de Franco ; elle est par ailleurs une des figures du proue du cinéma espagnol de cette période, en tant qu'actrice surtout. À sa sortie, le film est un échec et depuis, il ressort très peu. Comme le soulignait justement le fils d'Ana Mariscal présent en salle Buñuel, chaque projection est inédite : les quelques dizaines de spectateurs étaient donc des privilégiés. La salle aurait bien mérité d'être pleine à craquer pour un film aussi beau et plein d'émotions.


Dans un petit village d'Espagne perdu au milieu d'une vallée fleurie et arborée, Daniel « le Hibou » entend ses parents se disputer. Le père veut envoyer l'adolescent au collège de la grande ville la plus proche. Son intention est louable ; il veut que son fils soit « quelqu'un d'important »... Mais Daniel ne veut pas partir :

« il ne connaît que son village, les oiseaux qui y chantent, les petites bandes d'enfants qui courent dans les rues et les pavés brûlants sous le soleil espagnol ».

Le film peut se comprendre comme un récit d'initiation, un moment de passage à l'âge adulte d'abord empreint de tendresse et d'innocence. Puis la dure réalité (trop dure réalité) s'empare du récit ; le chemin de Daniel vers la maturité se trace brutalement dans la rigueur et la douleur.


Daniel et ses amis le Teigneux et le Bouseux sont trois jeunes adolescents qui s'amusent dans un monde ou rien n'est important. Le spectateur suit avec délectation les gentils mauvais garçons faire les quatre cent coups dans une ambiance à l'odeur naïve d'une guerre des boutons sans gravité. La réalisatrice tient sa caméra et raconte le début de son histoire, jusqu'à la première moitié, comme si elle s'arrêtait après chaque prise et demandait à ses acteurs enfants : « C'est bien cela que vous voulez montrer ? C'est bien cela que vous ressentez ? ». On regarde donc avec un plaisir non-dissimulé les petites farces se succéder et les acteurs secondaires enchaîner les performances mémorables, touchantes, drôles et émouvantes. La Guigne, hilarante à chaque apparition, à chaque ligne de dialogue (« J'ai péché, mon père ; j'ai péché car si j'étais née anglaise, je serais peut-être une hérétique »). Dom José, curé exaspéré et impuissant, qui aime le cinéma et pleure quand les marâtres plus chrétiennes que le Christ font brûler le projecteur, Quito, l'épicier manchot, le forgeron, Divas le banquier... Daniel découvre les sentiments et l'amour avec la Mica, la plus belle du village, la rancœur et la fierté avec ses deux amis.

« Le film atteint son esthétique paroxystique de l'enfance heureuse avec la scène du mât, extrêmement belle parce que complètement impossible ».

C'est un rêve d'enfant auquel la réalisatrice accorde un instant de vérité, seulement sur l'écran.


Toutes les bonnes choses ont une fin. Après avoir réalisé un dernier vœu pour Daniel, Ana Mariscal prend fermement les rennes, et la réalisatrice fait basculer le film dans la tristesse et la douleur. Les enfants se sont assez amusés : ils doivent maintenant suivre, comme le rappelle Dom José, « le chemin que Dieu a tracé, même s'il est humble ». La fin de l'innocence commence par la perte d'un ami. Dès cet instant, Daniel est engagé sur le sentier de la maturité, dont plus rien ne peut le faire sortir. La chute du comique au tragique est abrupte, mais toujours présentée dans la justesse. Les enfants aimaient se donner des surnoms : ils ne peuvent plus. Le surnom du Teigneux, sur sa couronne de fleurs mortuaire, est coupé au couteau par le grand frère de ce dernier.


Que reste-t-il de son innocence, de son village, à Daniel, la veille de son départ ? Des souvenirs qu'il ne tient qu'à lui de faire survivre, dans sa mémoire. Peut-être peut-il les faire durer dans la réalité : Uca, sa petite amoureuse, vient lui dire adieu et l'appelle par la fenêtre. Daniel la regarde, les larmes aux yeux, et crie « Ne les laisse pas t'enlever tes tâches de rousseur ». Le spectateur acquiesce en silence. Ne les laisse pas t'enlever tes tâches de rousseur, Uca. Elles sont le souvenir d'une douce innocence passée à se baigner dans une rivière et voler des pommes entre copains. Elles sont le souvenir d'une douce innocence perdue.


Critique de Paul Moings










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