LA DRÔLESSE de Jacques Doillon
La Drôlesse et le jeu des oppositions
Alors que Francis Ford Coppola présentait "Apocalypse Now" lors du festival de Cannes de 1979, Jacques Doillon avait également sa place dans la sélection avec La Drôlesse, son cinquième long métrage en tant que réalisateur.
Entre le film de kidnapping et l'histoire d'amour, La Drôlesse raconte l'histoire de deux personnages, Mado, une jeune fille de 11 ans, ainsi que François, un garçon de 17 ans. Le film distille l'étrange relation qui va naître entre les deux personnages : une histoire d'amour à la fois tendre et ambiguë.
L'une des premières oppositions est celle des deux personnages. Ils s'opposent et se complètent dans la relation qu'ils vont entretenir. L'un va-t-être une figure parentale pour l'autre, et inversement. Effectivement, les scènes de dialogue entre Mado et François, dans le grenier de celui-ci, pastichent la discussion qu'une mère pourrait avoir avec son enfant. Mado comme François sont attentionnés et affectueux, ils s'offrent mutuellement ce qu'ils ne peuvent obtenir de leurs parents respectifs. De plus, le rapport entre les deux personnages est parfaitement retranscrit à l'image. En effet, Jacques Doillon rend compte de cela au travers de sa mise en scène et de la composition du cadre. Que cela soit Mado ou François, la place qu'il vont occuper dans le plan lors d'une scène va refléter la domination intellectuelle et morale que l'un va mener sur l'autre à ce moment-là. Finalement, l'on peut affirmer que le véritable adversaire de l'histoire n'est pas le kidnappeur.
« À titre de comparaison, François est une version « gentille » d'Annie Wilkes dans Misery de Rob Reiner ».
Cela explique la réaction de la jeune fille lorsqu'elle se fait kidnapper par François : elle consent à tout ce qu'il lui demande. Il en ressort une scène ironisant les codes du film de kidnapping avec brio, où la jeune Mado monte d'elle-même dans la petite remorque du kidnappeur.
De plus, le film s'articule autour de plusieurs oppositions de symboles bien disposés les uns avec les autres, créant un tout purement organique. En effet, dès le début, les différents lieux qui nous sont présentés cristallisent la condition à laquelle Mado, la petite héroïne du récit, fait face. Étriquée dans le coin de sa salle de classe, où encore dans la sombre cave qui lui sert de chambre, tout reflète le milieu asservissant au sein duquel le personnage évolue. Mado mène une existence malheureuse sous l'oppression de sa terrible mère.
« Par ce biais, La Drôlesse détruit le symbole réconfortant du milieu familial. La maison n'est plus le « cocon » que l'on veut retrouver, mais le lieu que l'on veut fuir ».
Et c'est précisément là que l'alliance entre les décors et les personnages s'y reflète à merveille. Une autre opposition épatante est celle entre la chambre de Mado et de François. La chambre de Mado est une cave lugubre, tandis que celle de François, dans laquelle le film se déroule en quasi huis-clos, est un grenier. La cave, enfoncée dans le sol, dans la terre, connote le désordre et la douleur. Le grenier, proche du ciel, accentue la transformation des deux personnages qui s'élèvent moralement au cours de l'histoire, en construisant un espace bien plus réconfortant que celui dans lequel ils évoluent au début du film.
Bien que la Drôlesse ait pu diviser notre rédaction, il n'en demeure pas moins que la narration arrive à rendre cette rencontre entre Mado et François, certes ambiguë, mais toutefois pleinement convaincante. Nous ne sommes pas toujours attiré par les bonnes personnes, par celles qui seraient bien pour nous, et ça n'est pas toujours très bien. Mais après tout, c'est humain.
Critique de Emile RANNOU
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