MULHOLLAND DRIVE de David Lynch
Sélection Cannes Classics 2021
C'était probablement l'une des séances les plus attendues de la sélection Cannes Classics 2021.
20 ans après sa présentation au festival de Cannes, lors duquel il partageait le prix du jury avec les frères Cohen, l’œuvre étrange de David Lynch revient dans une superbe restauration 4K et fait toujours autant trembler son public. Mulholland Drive. Voici un film que l'on regarderait volontiers tous les 5 ans. Pas forcément moins, puisqu'il est nécessaire de se repérer dans la complexité de la narration et du récit. Et pas forcément plus, car la générosité du film est merveilleuse. On a les jetons comme rarement, et pourtant, c'est très plaisant à regarder.
Quoi qu'on en dise, Mulholland Drive est incontestablement l'un des plus grands film de David Lynch. Mais aussi l'un des plus compliqué. Pour autant, cela ne veut pas dire qu'il est difficile d’accès, au contraire. Même s'il reste très mystérieux et inexplicable sur bien des aspects - au passage, l'excellent documentaire Retour à Mulholland Drive s'amuse à expliquer le film en remettant les événements dans l'ordre - le film de David Lynch séduit de par son histoire captivante où le scénario explore le « Hollywood souterrain » : corrompu, où tout espoir est désillusion. Effectivement, le film croise l'histoire de Betty, une actrice pleine d'ambitions qui arrive à Hollywood, et d'une autre femme, très mystérieuse, rescapée d'un accident de voiture sur la route de Mulholland Drive.
« Là où le postulat pourrait-être celui d'un « feel good movie », David Lynch y ajoute une ambiance de film noir ».
Une histoire d'amour et de haine, et une critique de l'industrie du spectacle où le monde de devant et celui de derrière le rideau s'affrontent. Pourtant, le défi est de taille, puisque l’œuvre de Lynch appartient au sous-genre du « film-rêve ». À l'instar d'Inception ou de Donnie Darko, arriver à une telle précision ainsi qu'à une telle maîtrise de narration, en parlant d'un sujet aussi abstrait que le monde du rêve, est hallucinant. Le film utilise le monde du rêve pour nous faire comprendre les événements du monde réel. Toute la structure du scénario prépare un climax des plus impressionnant, qui nous entraîne vers la chute du personnage principal. Tout s'accélère au fur et à mesure, jusqu'à faire basculer le rêve vers le cauchemar. La descente aux enfers est terrifiante, et décrit le star-system comme un cercle vicieux.
« À vrai dire, Mulholland Drive pourrait constituer l'anti-Lalaland par excellence, où Hollywood n'est plus la ville de l'espoir et du rêve ».
Justement, le film montre à quel point être une actrice ou un acteur à Los Angeles est étouffant. « Il n'y a pas d'orchestre. Et pourtant, vous entendez un orchestre. ». Cette réplique majeure du film de Lynch arrive à la scène phare du spectacle d'illusions, où des musiciens jouent de la musique, puis s'arrêtent. Et la musique continue. Illusion, enchantement, mais mensonge. Le symbole est intéressant, car par cette métaphore, Lynch nous demande de regarder d'un peu plus prêt, derrière le monde apparent du spectacle. Détail intéressant, cette scène arrive au moment où le monde du rêve s'écroule pour arriver vers celui de la réalité. De fait, c'est un peu comme si le film comparait Hollywood à une scène de spectacle. Une ville et un lieu où tout n'est qu'illusion et représentation, où tout le monde joue un rôle, et vit sous le règne des apparences. Mais au-delà de ça, je dirais que la prouesse de Lynch est sans aucun doute d'avoir réussi à faire un film aussi incompréhensible que divertissant. Un chef d’œuvre.
Critique de Emile Rannou
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