THE STORMS OF JEREMY THOMAS de Mark Cousins
Sélection Cannes Classics 2021
Jérémy Thomas était-il un prince ?
« Le Prince », c'est ainsi que Mark Cousins ne cesse d'appeler Jeremy Thomas dans le film qu'il consacre au producteur mythique. Et à l'image du documentaire, le surnom, qui part d'une bonne intention, verse très vite dans le pesant et le respect très appuyé. L'hommage sincère se transforme au fur et à mesure de son déroulement en une mise aux nues univoque de Thomas (qui est cependant tout à fait méritée, mais ici beaucoup trop marquée). Malgré un début qui vante une forme de dialogisme, une apparente multiplication des points de vue, l’œuvre de Cousins n'arrive pas, à son terme, à donner une image objective et sincère du producteur (mais était-ce seulement son but?). Au lieu de cela, le film perd peu à peu, et sa puissance initiale, et le sens de son titre. Jeremy Thomas aime peut-être les tempêtes, mais sa vie n'en comprenait visiblement pas. Il a traversé le monde du cinéma succès après succès comme on coupe dans du beurre (et tant mieux, puisqu'il a pu offrir aux spectateurs de chaque génération de très nombreux longs métrages d'une qualité sans égale).
Néanmoins, The storms of Jeremy Thomas se divisant en plusieurs chapitres, les quatre premiers sont extrêmement plaisants à voir. De l'humour bien anglais (voire irlandais), des invités pertinents, de très belles images. Les extraits des productions de Thomas, Le dernier empereur,
« The leftovers, sont très bien choisies, s'intégrant dans le cours du film sans pesanteur et surtout sans ralentir celui-ci ».
Les commentaires de Cousins vont droit au but, et dans cette grosse première moitié du film, il laisse parler plus son professionnalisme que son admiration. La promesse du documentaire est apparemment plus que remplie quand Cousins compare son milieu social avec celui du producteur : « Enfant, il avait un chauffeur. Mon père était mécanicien ».
C'est aux deux derniers chapitres, Cannes et Endings, que le bas blesse. Le réalisateur se transforme en fan, le film perd l'intérêt qu'il avait acquis. Sur Cannes, les longueurs s'accumulent inutilement. Les plans de ciel orageux, de vagues violentes, d'éclairs, appuient lourdement le titre du documentaire alors que ce dernier n'a plus vraiment de sens. Ce chapitre et ses quatre sous-chapitres sont à l'image de ce que l'on reprochera finalement au film : il est plein de bonnes intentions, trop plein de bonnes intentions même, à ne plus savoir qu'en faire.
« La dernière phrase est une métaphore filée qui est, elle aussi, sûrement de trop : « Jeremy Thomas était un Prince qui a quitté son château pour vivre dans la forêt du cinéma » ».
Jeremy Thomas a largement mérité ce documentaire qui rappelle son palmarès exceptionnel (9 oscars avec Le dernier empereur), mais l'expérience du spectateur souffre quelque peu des rappels constants de la vénération de Cousins pour Thomas.
Notons que la projection était unique : avoir, dans la salle Buñuel, Tilda Swinton et Jeremy Thomas, Mark Cousins également, et leur jeter un coup d’œil à la dérobée tandis qu'ils parlaient sur l'écran, est un plaisir coupable dont tous les spectateurs ont pu profiter. En ce qui concerne spécifiquement l'aspect filmique, le film est loin d'être mauvais : simplement, il est d'abord réservé aux cinéphiles aguerris, fans de Jeremy Thomas, et surtout, il se veut tout du long un film-hommage, alors qu'il devient trop vite un film flatteur.
Critique de Paul Moings
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